Faute de larmes
Publié le 2 Décembre 2010
Il m'a parfois semblé n'écrire ici que pour jouer le choeur des pleureuses :
MA FI .... IL N'Y A PAS D'EAU !
Les coupures d'eau nous sont hélas habituelles entre mai et octobre sauf que cette semaine, nous sommes début décembre et cela commence à tourner à la catastrophe... Tellement pas d'eau que nous n'aurons bientot même plus de larmes pour pleurer !
Je retranscris ici un article de l'Orient-le Jour de ce jour :
Sources asséchées, pénurie d’eau dans les villes et villages. Ici, dans l’Iqlim el-Touffah. Photo Edmond Chédid
La sécheresse n'en finit plus de se prolonger, et les villes et villages, ainsi que la capitale manquent cruellement d'eau. Le ballet des camions-citernes rythme la vie des habitants excédés, qui voient leur budget fondre et leurs nerfs craquer. À l'horizon, peu de solutions pratiques et encore moins de réponses, mais un profond malaise social qui se profile : échanges d'accusations, disputes, contraintes temporelles, internats qui ferment leurs portes...
On est en décembre, et la pluie ne s'est pas encore manifestée. À Achrafieh comme dans d'autres quartiers, se procurer de l'eau devient un casse-tête de plus en plus insoluble. Les citernes font des va-et-vient incessants vers les immeubles. Selon de nombreux témoignages d'habitants, la qualité de l'eau n'est même pas satisfaisante : certains se plaignent de voir un filet d'eau marron et puant sortir de leur robinet le matin. D'autres ont constaté un goût de sel dans l'eau : une habitante a posé la question à son fournisseur, il a avoué qu'il lui arrive de mélanger eau potable et eau salée, la première n'étant plus disponible en quantité suffisante ! Sans compter qu'avec la baisse du niveau de l'eau, les risques d'intrusion saline dans les réservoirs d'eau douce se multiplient.Il n'y a pas que la qualité qui est affectée, le prix de l'eau achetée a considérablement augmenté. Une habitante d'Achrafieh dit payer dorénavant 25 000 livres par mille litres. Un seul immeuble a dû acheter d'un coup 80 000 litres d'eau, dépensant non moins de 320 dollars (ce même immeuble a déjà déboursé plus de 2 500 dollars pour l'achat d'eau depuis août). Les factures s'empilent et se multiplient, alourdissant le budget des foyers.
La crise d'eau est si aiguë qu'elle commence à provoquer des disputes et des susceptibilités. Telle région se sent plus touchée par la pénurie qu'une autre, un voisin se voit privé d'eau alors qu'un autre ne l'est pas, un propriétaire d'immeuble refuse d'accorder une part de l'eau de son puits artésien à ses locataires, lavant ostensiblement sa voiture devant eux... Le point que dénoncent toutes les personnes interrogées sous le couvert de l'anonymat, c'est qu'aucune autorité ne semble prête à leur fournir des explications.
Elles dénoncent aussi le gaspillage qui continue d'être pratiqué. Une habitante fait remarquer qu'en France, en cas de manque d'eau, « des mesures sont prises pour en limiter l'utilisation dans le nettoyage des routes par exemple, ou le lavage de voitures, ou encore le remplissage de piscines ». « Ici, il nous arrive encore de voir des employés laver la route à pleine eau par exemple, poursuit-elle. Les canalisations vétustes éclatent en pleine rue, inondant celle-ci d'une eau qu'on aurait bien pu utiliser chez nous. Cette inconscience me révolte au plus haut niveau. »
Recours aux méthodes ancestrales
Les habitants, eux, n'ont pas le loisir de gaspiller le peu d'eau qui leur parvient. Ils ont recours à des méthodes qu'ils qualifient eux-mêmes, non sans humour, d'« ancestrales ». Beaucoup ont renoncé à arroser leurs plantes ou, pour les plus passionnés, le font avec de l'eau minérale. La créativité en matière de parcimonie atteint un summum sous la douche : non seulement on tente d'utiliser le moins d'eau possible, mais on recueille l'eau froide qui coule avant l'arrivée de l'eau chaude dans un seau, afin de ne perdre aucune goutte. Beaucoup disent aller prendre leur douche dans des chalets hors de Beyrouth ou dans des clubs, mieux approvisionnés en eau.
Dans un tel contexte, la vaisselle et la lessive deviennent autant de casse-tête. Pour la vaisselle, mieux vaut rincer le tout en même temps, sous un faible filet d'eau. Quant à la lessive, il n'est plus question de faire fonctionner la machine à laver aussi souvent. Pour les familles, cela pose problème. Le cas d'une famille avec deux enfants, obligée, la moitié du temps, de laver ses habits à la main n'est plus isolé dans la capitale...
Les dépenses supplémentaires et les trésors d'ingéniosité déployés pour économiser la moindre goutte ne sont pas les seules conséquences de la crise. Il y a aussi, et surtout, les contraintes temporelles. Une habitante se dit excédée d'avoir à attendre des heures l'arrivée du camion-citerne d'eau. Une autre affirme qu'elle règle dorénavant sa vie au rythme des coupures d'eau... comme si les coupures d'électricité ne suffisaient pas. Il lui faut ainsi, malgré sa fatigue, rester parfois éveillée jusqu'à deux heures du matin pour faire sa lessive, s'obliger à prendre la douche à des heures précises, etc.
Plus d'eau dans la source
Il arrive souvent qu'on se demande, en voyant passer les camions-citernes, d'où vient cette eau qu'ils transportent alors que les foyers en manquent cruellement. Certains considèrent même les fournisseurs comme des sortes de caïds qui profitent du chaos ambiant et de la hausse des prix. L'un de ces fournisseurs, Jean Fakhoury, qui dessert la région particulièrement touchée d'Achrafieh, nous donne un autre son de cloche, celui d'un homme aussi excédé que les clients qu'il approvisionne.
« Aujourd'hui, avec cette sécheresse, il me faut, afin de trouver de l'eau propre, aller aussi loin que Hazmieh, dit-il. Ce que mes clients ignorent, c'est qu'il y a des files d'attente interminables aux sources. De plus, comme le niveau de l'eau est plus bas que d'habitude, on prend davantage de temps pour pomper l'eau dans le camion-citerne à partir du puits. Je sais que certains fournisseurs ne se soucient plus de la qualité, mais j'essaie de faire parvenir de l'eau propre à mes clients, qui sont tous du même quartier que moi. »
Prié de donner une idée de l'augmentation de la demande, M. Fakhoury fait remarquer que « tout le monde manque d'eau actuellement. « Je possède deux citernes et j'étais habitué à faire dix va-et-vient par jour, ajoute-t-il. Actuellement, vu les problèmes d'approvisionnement, je n'arrive même pas à faire dix déplacements, alors que je reçois des dizaines de coups de fil de personnes que je ne peux desservir. Avec tout ça, même mes clients sont continuellement mécontents. »
M. Fakhoury reconnaît que les prix ont augmenté, mais, selon lui, ils oscillent entre 15 et 20 000 livres pour les mille litres. « J'ai gardé les anciens prix pour mes clients habituels, surtout les restaurants, dit-il. Pour le reste, nous sommes obligés de hausser les prix en raison des dépenses supplémentaires. » Il dit prier pour la pluie autant que tous les autres. « Je suis extrêmement fatigué, affirme-t-il. Notre métier n'est pas fait pour servir d'alternative aux services de l'État, mais pour combler certaines lacunes momentanées. »
En attendant, les perspectives sont sombres si le temps reste aussi sec, présageant de véritables catastrophes sociales. Une directrice d'école interne au Kesrouan affirme qu'elle envisage de fermer les portes de son établissement si elle continue à ne recevoir l'eau que deux heures... toutes les 48 heures.